48 heures de haine

Il y un mois, en pleine dénonciation des cas de harcèlement dans la pub, je faisais un thread à destination des hommes. Ou plus précisément à destination des hommes relayant le témoignages et s’indignant des comportements sexistes des autres, sans réfléchir aux leurs.

https://platform.twitter.com/widgets.js

Ce thread a beaucoup tourné et a créé pas mal de discussions. Avec des hommes déjà convaincus, des hommes pas convaincus, des hommes contestant mes propos, des hommes venant jusqu’en DM m’expliquant que non, ils ne sont pas sexistes. En définitive, j’ai été assez contente de ce qu’il a produit. Me renforçant dans l’idée que différentes approches sont nécessaires : si certains sont venus me dire que je “dessers ma cause”, d’autres sont venus me remercier et/ou me demander des lectures supplémentaires.

Pour qui connaît un peu mon travail, je fais peu de threads exclusivement destinés aux hommes. Celui-ci faisait (entre autre) suite à une réflexion plus large sur la construction de l’empathie dans les masculinités et féminités, et sur la remise en cause de son point de vue. Pour qui connaît un peu mon féminisme, j’estime que le féminisme “pure” n’existe pas. La pureté de la militance n’existe pas. C’est un travail constant, sur soi, sa grille de lecture, sa perception du monde… en bref, un travail critique aussi bien sur soi que sur la société. Et je suis concernée par ce travail. On ne se réveille pas un matin, lavée de toute socialisation sexiste et raciste et exempte de comportement oppressif. Mais je travaille à les reconnaître, les comprendre, et trouver une façon de ne plus les reproduire. Néanmoins, ce travail n’a pas les mêmes conséquences pour un homme ou pour une femme. D’où ce thread.
(c’était le moment où je justifie mon thread et me convainc que je ne suis une personne logique.)

La Haine des autres

Samedi vers 2h30, ce thread a été déterré et retweeté par un gros compte (12 000 folowers), avec le commentaire “foutez-nous la paix par pitié”. Suivi d’un sondage “qui a lu son thread de 3 km srx” avec les réponses “personne ; tjs personne ; absolument personne”. Auquel plus de 900 personnes ont répondu

Les tweets de haine ont doucement commencé par une avalanche de “pas lu”. Suivi de mentions plus ou moins désagréables majoritairement sexistes : dégénérée, pute, ferme ta gueule, va à la cuisine, tu vas finir au macdo… et autres mèmes sexistes.

De ce thread est remonté un tweet en particulier, celui d’une personne me demandant s’il pouvait RT mon thread. Un compte à 5000 followers s’est alors fait un plaisir de faire des captures d’écran et de le désigner comme “teckel du mois”.

Un autre compte (à 50 0000 abonnés) s’en est aussi mêlé

Pendant 48h, lui comme moi avons reçu des vagues de harcèlements. Principalement sexistes et homophobes. Qui avait pour but de le disqualifier en tant qu’homme (et être humain), et de me disqualifier également, tant sur le plan de mon travail, que de mes affects (ta haine des hommes se voit), que de ma vie sexuelle (encore une frustrée) me renvoyant à ma place de femme dans la société (va à la cuisine, y’a des tâches sur mon parquet…)

J’ai muté quelques 400 comptes dans le week end (et suis certaine que j’en ai loupé). J’ai également reçu des DM me disant “j’espère que tu vas rater ta thèse mdr”.

La haine de soi

Quand j’ai vu ces vagues de tweets pas lu au réveil, mon premier réflexe a été de protéger mon compte pour pouvoir dormir tranquillement. Ce qui a moyennement marché.

C’est donc les yeux en face des trous que j’ai rouvert mon compte et commencé à muter les comptes offensants. Au début on croit qu’on peut contenir tout ça. Et je prends la peine de répondre à quelques uns (qui semblent chercher des explications, des discussions…), d’autres avec des réponses décalés pour les rembarrer (et les faire bugger). On essaye de trouver du réconfort comme on peut. Pensant qu’on est capable.

Chose que je ne savais pas, à force de lire ces insultes (qu’on sait pertinemment qu’on ne devrait pas lire — merci de ne pas venir me faire la morale), le cerveau bloque dessus. D’un coup, c’est comme un unique rouage qui tourne dans le cerveau et qui reprend en boucle les insultes. Impossible de penser à autre chose. Impossible de ne pas se demander s’ils ont raison…

À ce moment là, il est déjà trop tard. T’as beau désactiver toutes les notifications, t’es déjà au point de rupture. C’est déjà insupportable.

J’ai passé littéralement 24h à me cacher pour pleurer. Des crises de larmes inopinées, alors que t’es concentrée sur Candy Crush. Et une fois calmée, tu sais que ça va revenir. Dix minutes, peut être une heure avant que ça ne revienne.

Lundi matin, pour exorciser la chose, j’ai décidé de faire des captures d’écran des tweets reçus. Malgré la distanciation dont je suis capable (faire des captures d’écran sans lire), passé 40 captures d’écran, j’ai arrêté. La haine de soi revenant vite taper à la porte du canal lacrymal.

Chercher du soutien ?

J’ai cherché sur mon moteur de recherche préféré que faire en cas de harcèlement. Sans grande surprise, la plupart des sites parlant harcèlement en ligne aborde le sujet sous l’angle de la justice : quelles démarches, quels instances de justice saisir, comment collecter les preuves… Et quasiment aucune information sur l’état émotionnel, sur comment trouver du soutien, comment se protéger, à qui en parler.

Ah si, j’ai trouvé un numéro (co financé par l’UE) avec un chat en ligne. Quand j’ai demandé s’ils avaient des ressources pour gérer l’impact émotionnel d’un harcèlement parce que je ne trouvais que des ressources sur comment porter plainte, le conseiller au bout m’a demandé si j’avais déjà entamé une procédure judiciaire (s’en est suivi une discussion un peu ubuesque où j’ai eu l’impression d’être infantilisée en me répondant systématiquement à côté).

En bref : j’ai fait chou blanc. Je n’ai quasiment rien trouvé. Sauf quelques versets de la bible (je suis sérieuse).. Le harcèlement n’est quasiment que abordé sous l’angle légal. Et rien ou peu concernant les conséquences émotionnelles d’un harcèlement, ou comment les gérer. Ou alors il faut fouiller… Ce qui me parait difficile lorsqu’on se sent envahit par l’émotion.

Si vous avez des ressources (autre que légales), ou un petit manuel “que faire en cas de harcèlement, comment gérer émotionnellement des cas de harcèlement” avec des informations pratiques (bloquer les notifs, prendre soin de soi, savoir que le cerveau peut “bloquer” sur ces insultes, se tourner vers qqn capable d’écoute…), je suis preneuse.

(Est ce que faire de l’analyse de contenus m’a traversé l’esprit ? oui)

Image par Dino KF Wong

Laisser un commentaire