Je ne veux plus débattre 

Ils prennent le débat comme un jeu, comme une faveur qu’ils me feraient. Le débat est – pour eux – une occasion pour moi d’apprendre et d’améliorer mes arguments. Ce serait une opportunité formidable pour perfectionner mon discours et ma posture face à mes détracteurs. 
Le débat serait une sorte d’entraînement bienveillant. Une sorte de cadeau qu’ils me feraient.
Si je m’énerve? Si je m’emporte, c’est bien la preuve que je manque de sang froid, ou que mes arguments sont pauvres.

Leur envie de débattre ne m’intéresse pas. Si je refuse le débat ? C’est un signe d’hostilité, d’agression. Comment puis-je oser leur refuser cette faveur qu’ils me font ? 
En dehors du cadre professionnel, je ne veux plus débattre de mon travail ou de mon militantisme. Parce que leur envie de débattre ne m’intéresse pas.

Mais pourquoi veulent-ils débattre ?

Parce qu’ils ne sont pas d’accord (et veulent que je le sache)

Ils donnent leur avis sur ce que je pense, ce que je sais. Ignorant (niant ?) que mes opinions, que mon travail reposent sur des enquêtes, des savoirs et une rigueur scientifique. Ils peuvent m’affirmer avec conviction « je pense que tu te trompes ».

Soyons réalistes : la plupart de ceux qui veulent débattre n’ont pas la moitié de mon savoir sur mon sujet. Et ils ont le culot de me trouver prétentieuse. Si je donnais mon avis sur un travail que je ne connais pas, à partir de quelques lectures faites de ci de là, ce serait prétentieux. M’estimer à égalité avec un savoir acquis et éprouvé après plusieurs années, serait prétentieux Donner mon avis sur l’homéomorphie de deux espaces topologiques discrets serait prétentieux.

Qu’ils donnent leur avis – au doigt mouillé – sur mon travail et mon féminisme est tout aussi prétentieux. Donner un avis n’est pas débattre.
Pourquoi veulent-ils me donner leur avis non sollicité ?

Pour comprendre, pour apprendre


Pour certains, confronter mon savoir à leur avis – généralement déjà fait – est une obligation de mon statut de chercheuse et de militante. La pédagogie en libre accès serait une de mes missions de travail.

Pourtant cette injonction au débat et au partage est une accaparation de mon temps et de mon énergie. Pourquoi devrais-je consacrer mon temps et mon énergie hors travail à répondre à leurs questions alors que je pourrais boire ma limonade tranquille ? Alors qu’ils pourraient trouver leurs réponses en lisant des dizaines d’articles et de livres comme je l’ai fait ? Alors que je pourrais profiter de mon temps libre pour ne pas penser au travail ?

Je ne dois pas – ni à mes amis, ni à des inconnus – de partager mon savoir. Je ne suis pas une page Wikipédia avec laquelle on pourrait discuter.

Parce qu’ils pensent que leurs arguments sont pertinents ou originaux.

Écouter ce qu’ils ont à dire me permettrait d’améliorer mon travail. Dans 99,99% des cas, j’ai déjà entendu mille fois ces arguments. Et j’y ai déjà répondu mille fois. Me répéter ne m’intéresse pas. Surtout quand les glaçons de ma limonade fondent.

Parce qu’ils m’aiment bien

C’est pour rire, me taquiner, m’aider à améliorer mon discours et mes arguments… C’est bienveillant quoi.

Même si je ne veux pas débattre ? Même s’ils me répètent inlassablement des choses que j’ai entendues mille fois ? Mais pour quoi au juste ? Parce que prendre de mon énergie et de mon temps, remettre en question mon savoir et ma légitimité est un jeu ?

Être le jouet de l’autre ne m’intéresse pas. Subir la grille de l’interaction des autres – sur mon temps libre – ne m’intéresse pas.

Pourquoi je ne suis pas intéressé·e ?

Pourquoi devrais- je justifier qu’en dehors de mon travail je ne veux pas travailler ? Pourquoi devrais je justifier mes non envies ? Mes envies ne comptent pas ?
Je ne suis pas interressé·e parce qu’un millier de raisons à ce moment-là. Et le fait que je refuse le débat à ce moment-là devrait être une raison suffisante pour ne pas que j’ai à me justifier. 

Est ce qu’on demande aux gens qui refusent de jouer au ping-pong pourquoi ils refusent de jouer au ping-pong ? 

Donc en fait tu ne veux pas débattre

Si vous voulez débattre, ne donnez pas votre avis. Soyez là pour écouter, et je vous écouterai. Je n’ai pas à me plier à votre cadre d’interaction. Construisons un cadre d’interaction où tous les participant·es sont à l’aise et ont envie d’interagir.

Respectez ma non envie de parler boulot, ma non envie de “débattre”, ma non envie d’écouter ce que vous pensez d’un sujet que je maîtrise dix fois plus que vous. 

Respectez moi.

Crédits Image : freeillustrated

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