Écrit et lu par ludi demol defe le 23 août 2025 sur la scène de Bottes de Queer au festival d’Aurillac
Face à la stigmatisation et la précarisation que pourrait entraîner ce texte, je ne parle pas ici au nom du collectif Bottes de Queer, mais de plusieurs artistes, qui décideront – ou non – de soutenir publiquement cet écrit.
L’art est politique
L’art est un espace d’imagination, de rêves, de créations et d’inspiration. Être spectateurices, c’est accepter de découvrir un autre point de vue, de décaler notre regard, de se frotter à la réalité des autres. C’est pour ça que nous sommes si nombreux à Aurillac. Artistes comme simple public, nous voulons être touché·es, émerveillé·es. Parfois bousculées, voire transformé·es.
Si le monde inspire les artistes, les artistes et leur vision du monde inspirent le monde à leur tour. C’est une boucle infinie.
Le racisme
Mais ces représentations du monde comporte des biais.
Combien de spectacles avec personnes racisé·es avez-vous vu ?
Peu.
Pourquoi ? Parce que l’art, comme l’ensemble de la société, est traversée par des dynamiques de pouvoirs, dont le racisme. Comment se traduit le racisme dans la culture ? Par une invisibilisation des personnes racisé·es.
Résultat : vous avez principalement vu des performances avec des personnes blanches. Qu’il s’agisse des artistes, des auteurices, des producteurices.
Face au constat d’une culture majoritairement blanche, le collectif Le Grand Remplacement a pris vie. Son ambition : rassembler des artistes et des compagnies vivant l’expérience du racisme au quotidien.
Pour comprendre le monde, nous avons besoin de visibiliser les existences marginalisées. C’est une question politique, mais aussi artistique. En ne visibilisant pas les existences marginalisées, nous perdons, collectivement, l’accès à une ressource extraordinaire d’émotions, d’émerveillement et de compréhension du monde.
L’art ne peut pas se réduire à quelques personnes, majoritairement hommes blancs cis hétéro CSP ++, décidant de ce que devrait être l’art.
L’objectif du Grand Remplacement était de proposer un regard décolonial de l’art, offrir une vision du monde à l’opposé des discours haineux et rétrogrades d’empires détenus – encore – par des hommes blancs bourgeois : Bernard Arnault, Vincent Bolloré, Pierre-Édouard Stérin…
L’objectif est de raconter, montrer ce que nous ne voyons pas, ce qui est gardé dans l’ombre.
La difficulté matérielle de monter un projet aussi ambitieux a empêché le Grand Remplacement de finaliser son inscription. Rien d’anormal à cela, plusieurs collectifs ont été dans des situations similaires sans que cela ne compromette leur participation au festival. Face à ces difficultés administratives, Le Grand Remplacement a souligné l’importance de la présence d’un collectif de personnes racisées.
La réponse d’ÉCLAT, en charge de l’organisation du festival, fut désolante et révoltante. Iels ont invoqué la sacro-sainte neutralité.
Mais pour reprendre les mots du collectif du Grand Remplacement
« Qui peut se dire contre le racisme, et en même temps, exclure d’un espace de visibilité et d’expression des personnes concernées par ce racisme ? »
La neutralité n’existe pas. Chaque création artistique, production médiatique, alimente nos réflexions en nous proposant une vision du monde différente de la notre. Mais comment vous offrir un regard différent sur l’art et les vécus si on ignore, et refuse de visibiliser ce qui est dans l’ombre?
Se dire non raciste ne suffit pas. Refuser de « politiser », c’est accepter le système en place. c’est accepter les injustices et les génocides.
Djamila Ribeiro, une féministe antiraciste a écrit dans Petit manuel antiraciste et féministe (2019)
« La culpabilité mène à l’inertie, à la différence de la responsabilité qui mène à l’action. »
En invoquant la neutralité, ÉCLAT choisit l’inertie.
Se dire non raciste ne suffit pas.
Il faut des actions, des prises de positions, des prises de risques.
Nous ne pouvons pas ignorer une partie du monde parce qu’elle nous dérange. Nous devons ouvrir notre regard, nous inspirer de ce qui nous entoure. Exclure des personnes de la lumière, c’est participer à l’uniformisation de la culture, à réduire un espace de partage et de créativité aux vécus des personnes blanches, majoritaires aux postes décisionnels.
C’est un devoir artistique d’offrir des espaces aux marginalisé, celleux gardé·es dans l’ombre.
Les violences policières
À Aurillac, jeudi 21 août fin d’après midi, une camarade écrit au marqueur « tout est trop cher » sur la devanture d’une agence BNP, banque soutenant Israël et donc le génocide Palestinien.
Interpellée par 8 policiers en civils, elle est placée en garde à vue.
En soutien, ses ami·es décident de se rendre au commissariat en criant des slogans pour annoncer leur action non violente et appeler au soutient populaire.
Avant même d’arriver au commissariat, en plein centre ville, où des centaines de personnes assistent aux spectacles, 5 CRS décident de faire usage de leur gazeuse.
Imaginez des centaines des personnes sous les gaz en plein spectacle, des artistes ramassant tant bien que mal leur affaires pour se mettre en sécurité… L’usage disproportionnée de la force par les CRS, alors que la situation ne présentait aucun danger a entraîné des réponses de celles et ceux qui ont été gazés sans explication.
C’est alors l’escalade. Si les articles de presse mentionnent des biens dégradés et des blessés parmi les forces de l’ordre , presque personne ne parle des violences policière. Personne ne parle de cette camarade rouée de coup et traînée par les cheveux par des CRS. Personne ne parle du pourquoi de la colère, ni des grenades de désencerclement et des dizaines de bombes lacrymo utilisées.
En ne prenant pas position contre les violences policières et l’usage disproportionnée de la violence en pleine foule, ÉCLAT, une nouvelle fois, ne protège ni ses artistes, ni son public.
Face à ces deux événements – l’invocation de la neutralité et le non soutien de ses artistes et publics – nous sommes profondément déçu des prises de position d’ÉCLAT. En refusant de reconnaître les violences systémiques traversant le monde de l’art et notre société, ÉCLAT choisi l’inertie au lieu de l’action.